La tolérance est-elle compatible avec l’engagement ? 45 ans plus tard….

« La tolérance est-elle compatible avec l’engagement ? » fut un des sujets de dissertation de philosophie qui me fut posé en classe de Terminale en 1972 : la question reste entière dans les débats d’aujourd’hui.

J’ai choisi de citer des extraits de ma copie de l’époque : non par paresse d’écrire un nouveau texte, mais plutôt parce que, malgré la maladresse d’expression de l’adolescence, au fond, mes arguments resteraient les mêmes…

Et vous, quelle est votre conclusion, compatible ou pas ? Mon choix en fin d’article.

[…] A la limite, la tolérance ne devient-elle pas la neutralité totale, le non-engagement ; d’autre part, l’engagement trop poussé ne conduit-il pas à l’aveuglement, l’isolement dans une idée, les « œillères », enfin la violence ?

[…] Dans toute société, dans tout groupe d’hommes, parce que ceux-ci sont munis d’un cerveau, d’une intelligence, des idées jaillissent, germent, s’échangent, se contredisent, s’opposent, s’associent, divisant ou unissant les hommes. Tous les sujets leur sont accessibles et le conflit qui oppose deux ménagères et une recette de cuisine différente est le même, à un échelon différent, de celui qui oppose deux pays, deux théories politiques, deux systèmes économiques : chaque homme a la possibilité de choisir, de s’engager dans une théorie particulière ; mais puisque c’est un homme qui élabore cette théorie, celle-ci devrait pouvoir être comprise par d’autres hommes, si ce n’est par tous : voilà engagement et tolérance. […]

Etre tolérant c’est admettre qu’une autre idée que la sienne puisse exister et être valable : c’est reconnaître qu’on peut agir de différentes façons sans qu’il y ait une bonne et une mauvaise en absolu. L’acquérir c’est supposer que le toi n’agit pas comme moi, qu’un acte n’est pas universel, et cela est difficile. Mais la tolérance est nécessaire dans une société où une certaine cohésion s’impose. […] Et comment défendre l’intolérance ?

L’engagement, lui, est un choix : d’une idée, d’une théorie ou d’un système, et la lutte pour faire admettre et reconnaître cette idée. Il comporte une part de risque d’où l’idée de « gage » ou de « gageure ». S’il est utile, car il faut choisir et s’établir un certain code de vie, des idées, une opinion, il n’est pas nécessairement aveugle et à sens unique ; l’engagé devrait pouvoir réfléchir, revenir en arrière, reconnaître ses torts. […]

On peut restreindre la question de la compatibilité de la tolérance et de l’engagement aux grands domaines – politique, religion, économie, social, arts, lettres – car elle a moins d’importance dans la vie quotidienne.

[…] L’engagement devient souvent vite embrigadement. Un homme engagé, qui a foi dans son idée, désire engager autrui et le convaincre qu’il a trouvé La voie. L’engagé dérivent ardent et cela peut le conduire à la violence. La tolérance lui devient impossible : comment chercher à convaincre l’autre et en même temps admettre qu’il peut avoir raison ? Le sens donné au  mot trompe : un engagé est-il une tête brûlée, un révolutionnaire, un homme dangereux ? Ou un homme sensé, conscient, lucide qui a fait des choix ?

L’homme tolérant a lui aussi une opinion : simplement il ne cherche pas à convaincre celui qui a une opinion contraire à la sienne, mais plutôt celui qui n’en a pas et qui cherche.

[…] La tolérance n’existe qu’à froid, en théorie. En pratique elle n’existe pas : il est rare de trouver un homme tolérant sur un sujet qui lui tient à cœur. La tolérance est plus facile à exercer dans un domaine auquel on est indifférent, sur lequel on peut être porté à l’indulgence ou l’acceptation. Mais lorsque soi-même ou les siens sont concernés, voire leur sécurité menacée, alors la tolérance devient difficile.

[…] La raison n’est pas seule : les émotions interviennent également ; l’amour, le respect d’un côté ; l’orgueil, la peur, la honte de l’autre.

La tolérance n’est pas absolue, elle est une acceptation de l’autre et pas une neutralité ou un refus de choix. Elle permet de dire son opinion sans être hué.

L’engagement n’est pas toujours violent, on peut prendre parti sans partir en guerre. Il ne devrait pas être aveugle : on adhère à une idée en toute connaissance de cause.

 

Aujourd’hui comme hier, je pense que la tolérance est compatible avec l’engagement.